Le Soleil
(Québec) Cela peut sembler bien loin de l’épicerie, et pourtant, il y a bel et bien un lien…La surutilisation des antibiotiques dans l’élevage des animaux de boucherie est devenue une réelle menace pour la santé humaine, qui interpelle tous les gouvernements. Mais alors que l’Europe interdit leur usage à des fins de croissance depuis 2006, l’Amérique du Nord tarde à prendre le virage.
À la mi-décembre, les États-Unis dévoilaient un plan de réduction des antibiotiques dans les élevages intensifs. Essentiellement, celui-ci propose de cesser de les utiliser à des fins de croissance de la viande et de remettre leur gestion entre les mains des vétérinaires plutôt que celles des vendeurs d’intrants agricoles.
Malheureusement, disent plusieurs, ce plan repose sur la bonne volonté des organisations et sa réussite dépendra davantage des pressions que feront les consommateurs.
Et au Canada?
Dans un long courriel plutôt emberlificoté, Santé Canada dit avoir mobilisé toutes les parties intéressées par cette question ces dernières années en vue de l’élaboration d’une proposition.
«[…] Les médicaments antimicrobiens importants sur le plan médical […] ont été cernés, et l’élaboration d’un plan d’action concerté est en cours», écrit le porte-parole Gary Scott Holub.
Mais selon le Dr Richard Marchand, microbiologiste et infectiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, le sujet est quasiment tabou sous le gouvernement actuel. «Quand on veut savoir ce qui se passe, on ne nous dit rien, seulement qu’il y a un comité qui s’en occupe.»
Selon lui, la seule porte d’entrée pour atteindre les pouvoirs publics est celle de la santé publique, car il y a vraiment péril en la demeure.
Il y a maintenant une soixantaine d’années que les agriculteurs ont réalisé que ces médicaments donnés à petites doses aux animaux d’élevage leur permettaient de grossir plus vite. Et c’est justement là une partie du problème. Ces doses sont juste assez petites pour que les bibites s’y habituent et se renforcent à leur contact, explique le Dr Marchand. C’est ce qu’on appelle l’antibiorésistance.
Or, une partie des médicaments donnés aux animaux le sont aussi aux humains. À la longue, il faut des doses plus fortes ou trouver de nouveaux composés pour soigner les infections, et ce phénomène est exponentiel, selon le spécialiste.
Dans les années 80, il fallait quatre ou cinq ans pour que se développe la résistance à un nouveau médicament. Aujourd’hui, elle apparaît pendant les essais cliniques, s’exclame-t-il.
Et mis à part les viandes biologiques et quelques produits de niche, les antibiotiques sont dans tous les élevages : boeuf, veau, porc, poulet, poisson…
Pourtant, ils sont nombreux aujourd’hui à tirer la sonnette d’alarme et à dire qu’ils ne devraient plus être donnés comme facteurs de croissance. Même un vétérinaire travaillant pour une grande compagnie pharmaceutique me l’a dit dans le creux de l’oreille : cette pratique n’a plus sa raison d’être.
De nouvelles façons de faire
Et qu’en est-il sur les fermes? Le passage vers un élevage sans antibiotique est-il possible?
Dans le cas du boeuf, c’est assez simple, sauf que c’est coûteux, témoigne Claude Laroche, président de Viandes Laroche, qui produit Viandes sélectionnées des Cantons, sans hormones de croissance et sans antibiotiques.
L’équation est simple. Comme le boeuf mange moins, il grossit moins. M. Laroche évalue la différence du coût de production à plus 20 %. Sur la viande hachée, la hausse peut demeurer acceptable pour les familles, croit-il, mais sur un filet mignon, elle est plus corsée.
Pour sa part, Viandes duBreton a commencé à produire un porc sans antibiotique il y a une quinzaine d’années et a mis cinq ans à bien maîtriser son programme. Selon la porte-parole Claire Michaud, la réussite est au prix de normes de biosécurité beaucoup plus élevées. Lorsqu’un animal est malade, il est aussitôt retiré du troupeau et reçoit des antibiotiques avant d’être redirigé vers un élevage conventionnel.
La densité d’animaux est aussi moindre pour un même espace, ce qui réduit le risque de transmission de maladie. La différence de coût est de 10 %.
La volaille est quant à elle nettement plus capricieuse. La chercheuse vétérinaire Martine Boulianne de l’Université de Montréal a supervisé un projet de recherche en 2012 sur la production à grande échelle de poulets sans antibiotiques ni anticoccidiens ajoutés à l’alimentation.
Pendant plus d’un an, huit éleveurs ont permis l’accès à deux de leurs poulaillers chacun, l’un avec des poulets élevés de façon conventionnelle et l’autre sans antibiotiques. Dans ces derniers, les antimicrobiens étaient remplacés par des huiles essentielles et des extraits de plantes, mais surtout, une attention particulière était portée aux premiers jours de la vie des poussins et à la qualité de l’eau.
Au bout du compte, les résultats ont été partagés. Certains éleveurs ont très bien réussi, et ce, à un coût supérieur raisonnable par rapport à un élevage traditionnel, alors que d’autres ont expérimenté des problèmes d’entérite à répétition malgré une qualité de régie équivalente.
L’hypothèse est que certaines fermes sont littéralement colonisées par la flore de certaines bactéries, ce que tentent de vérifier les chercheurs. Pour l’heure, les éleveurs avicoles du Canada ont décidé de ne plus recourir aux médicaments utilisés par les humains à compter de mai 2014. Ils sont le premier groupe d’éleveurs canadiens à prendre une telle décision.
Le Dr Richard Marchand, lui, espère que les changements se feront «au plus sacrant». Car le résultat de tout ça, c’est que certaines infections ne peuvent simplement plus être soignées avec des antibiotiques.